Aux yeux de François Prost, la photographie est avant toute chose une façon de s’interroger sur le monde et de s’épanouir. C’est aussi pour cela qu’il refuse de professionnaliser sa pratique. Dans sa série Gentlemen’s Club, il sillonne les États-Unis à la recherche des meilleures devantures de strip club, dans la continuité de son travail sur les boîtes de nuit françaises…

À quel moment la photographie a-t-elle pris une place si cruciale dans votre vie ?

Je suis graphiste de formation et de métier, et j’évolue dans la fabrication d’images depuis mes 20 ans, j’en ai 39 aujourd’hui. J’ai toujours fait de la photo en parallèle, mais c’est vers mes 33 ans que j’ai décidé de me lancer dans des projets photographiques plus construits. J’ai réalisé qu’en concevant des séries, je pouvais raconter des histoires, et que celles-ci étaient plus fortes que des images seules qui se retrouvaient vite orphelines au milieu d’un tas d’autres images. 

Pourquoi garder votre pratique photographique dans le domaine du loisir ?

J’ai quitté mon emploi à plein temps il y a 3 ans dans le but de dégager plus d’espace à la photo. Pour gagner ma vie, je travaille toujours en tant que graphiste et directeur artistique freelance. Je développe également une activité de photographe de commande, pour des portraits ou des reportages dans la presse ou la publicité. Si je gagne moins qu’avant, j’ai plus d’autonomie dans mes choix et je suis disponible pour ma vie de famille.

L’autre partie de mon temps, je la consacre à mes projets personnels photographiques. Je ne me sens pas particulièrement professionnalisé dans la photo, car j’ai une approche assez libre de mes sujets et de mes réalisations. Le vrai poumon de mon activité photographique se trouve dans le développement de mes projets personnels. Je les finance et les produis seul. Il est donc dur de l’envisager comme un métier ou une profession, je le décrirais plutôt comme une passion qui a pris le dessus et qui articule l’ensemble de ma vie professionnelle et personnelle. Une activité professionnelle est un moyen de gagner de l’argent avant tout, or ma pratique photographique personnelle est avant tout un moyen de m’épanouir et de m’interroger sur le monde. 

Avec vos séries Faubourg, Gentlemen’s Club et After Party, il est évident que vous nourrissez un attrait pour les créations architecturales. 

On parle souvent du lien entre photographie et voyage. Nombreuses sont les personnes qui prennent des photos lorsqu’ils sont à l’étranger, car ce sont des moments qui les sortent de leur quotidien et qui les font s’interroger sur des problématiques nouvelles. En réalité, ils pourraient faire autant d’images intéressantes autour de chez eux. Toutefois, c’est en voyageant qu’ils sont immergés dans une configuration propice à la découverte et à la curiosité. 

Dans ma pratique de la photo, j’essaie de provoquer cet état de curiosité perpétuelle. C’est une manière pour moi d’interroger les idées pré-établies que je me fais du monde. Et c’est aussi pourquoi j’ai conçu de nombreux projets en lien avec l’architecture. Celle-ci est assez simple à photographier et elle permet de documenter notre époque et la civilisation de manière objective. Un élément de décoration, une forme de bâtiment, un nom d’enseigne… J’aime observer ces détails et les mettre en lumière pour interroger ce qu’ils signifient pour nous. J’ai également choisi de me focaliser sur l’architecture, sans présence humaine, pour que mes images restent digestes et lisibles, comme on peut le faire quand on conçoit un logo. Je trouvais intéressant de parler d’humains sans en montrer forcément.
Pour Gentlemen’s Club vous partez en road trip aux États-Unis pour photographier les strip club américains.

Le projet Gentlemen’s Club est un inventaire photographique de devantures de clubs de strip-tease. Je l’ai conçu comme une suite a mon projet After Party qui présentait les façades de discothèques aux 4 coins de la France. J’ai réalisé cette série en 2019 au cours d’un road trip de 5 semaines entre Miami et Los Angeles. Les États-Unis sonnent pour nous, européens, comme le pays phare de la culture parking et du grand consumérisme. J’ai donc envisagé ce projet comme une sorte de pèlerinage, j’avais déjà parcouru la France pour documenter ces lieux de divertissements qu’étaient les discothèques, alors il fallait que j’aille aux États-Unis pour remonter à la source. 

Quelle place prend les expérimentations dans votre travail et comment cultivez-vous votre inspiration photographique ?

Il y a toujours une part d’expérimentations et de découvertes dans mes créations. Les idées se formalisent au grès de recherches, de pérégrinations hasardeuses, d’expériences en tout genre, de lecture d’articles ou de discussions, il n’y a pas vraiment de règles. En terme d’organisation, je prépare en amont mes projets, en faisant des recherches et des repérages au préalable. Cela me permet d’avoir un cadre bien établi et de ne pas trop me disperser.