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Stories

Story & Evolution of Paper Art

15 minutes read

Pour la publicité, pour la mode, pour des éditoriaux, des magazines ou des set-designs, ces dernières années ont été définitivement marquées par une recrudescence de la culture du papier. Ce matériau qu'on pensait voir disparaître progressivement, déclinant au rythme des nouvelles technologies, de l'avènement du numérique et des livres électroniques, connaît une véritable renaissance. Un bon nombre d'artistes ressentent étrangement le besoin ou le désir de manipuler le papier, le couper, le lier, le décoller, le plier et le coller pour dépasser l'usage traditionnel de support de lecture et d'écriture. Focus sur un outil destiné à la désuétude transformé en tendance majeure.

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Les études se relaient, s’enchaînent, s’accumulent jusqu’à devenir de simples marronniers. Tout converge vers l’idée quasi-absolue que le papier est voué à un destin funeste face à nos nouvelles habitudes de lire les journaux et les romans. Le papier finira peut-être par se muer en sorte de support noble « vintage » de la même manière que les vinyles et l’argentique. En attendant, au milieu de cette ère, se dessine un beau paradoxe qui n’a rien à voir avec la presse ou la littérature et qui émerge directement du monde artistique. Les sculpteurs, designers et artistes en tout redécouvrent un intérêt vers le papier, vu comme une opportunité de création nouvelle. Le paper art devient alors une forme d’art à part entière qui privilégie une relation viscérale et tactile entre l’artiste et son matériau.

Story & Evolution of Paper Art
Série « Géométrie », Maud Vantours.

La French Touch du Couper, Copier, Coller

Diplômée de l’ESAA Duperré et basée à Paris, Maud Vantours est une designer et plasticienne qui travaille en free-lance. En dépit de son jeune âge, elle a déjà collaboré avec des marques aux lettres dorées telles que Guerlain, Adidas, Tag Heuer, Lancôme, Yves Saint Laurent. Affichant une préférence pour le papier, qu’elle manipule avec autant de virtuosité que le métal, le bois ou le plastique, son univers se traduit à travers des motifs hauts en couleur, qu’elle superpose en couches pour réussir à donner du relief, une profondeur à des fleurs, des tuiles, des ronds, ou encore, à apporter une dimension hypnotisante à des formes circulaires. Son travail vise à élaborer la matière, à la creuser et à créer l’impensable à partir du papier.

Il y a une viralité autour d'une création en papier partagée sur la toile.

Maud Vantours

Série « Flora », Maud Vantours
Série « Flora », Maud Vantours
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Ses sculptures de papier ont attiré, entre autres, les magazines Paulette et L’Officiel qui sont venus la chercher pour des éditoriaux sur une double-page et des set-design pour des marques. L’une de ses collaborations les plus marquantes a été celle pour Adidas en 2014, qui a ouvert la voie à des nouvelles formes esthétiques : Maud a imaginé une paire de ZX Flux à côté de d’autres grands noms de la mode et du design. En 2015, pour la parfumerie Annick Goutal, elle avait produit des merveilleuses installations féeriques et légères représentant des papillons.

À la question « pourquoi le papier ? », elle répond que « c’est le plus facile à manier, c’est un support qui offre beaucoup de possibilités et c’est ce qui « prend » et plaît le plus, aujourd’hui. Il y a une viralité autour d’une création en papier partagée sur la toile qu’il n’y aura pas pour des sculptures en métal ». Elle fait partie de ces artistes qui, manifestement, ont décidé de faire appel à leur capacités manuelles.

 

Editorial « Jungle Noire », set design : Maud Vantours, Paulette Magazine #9, photo : Neirda Iwanowski.

C’est aussi l’ambition de Zim & Zou, deux créatifs lorrains qui se retournent quand on les appelle par leurs vrais noms : Thibault Zimmerman et Lucie Thomas. Dans une interview pour le magazine Fricote (n°14), ils déclarent avoir eu pour grand principe de s’éloigner de l’ordinateur, dès le début de leur aventure colorée. S’ils ont choisi le papier, c’est parce qu’il offre une infinité de possibilités, tant par sa teinte, sa texture et sa résistance. Il crée une relation tactile dédoublée d’une dimension éphémère que ces deux artistes jugent « poétique ». Toute la contradiction du papier réside dans le fait qu’il représente un médium plat qui se transforme en œuvre de volume, après une série de découpages et de collages. C’est ce goût du défi, de la surprise, du changement de la nature d’un matériau pour en faire ressortir quelque chose de totalement différent, qui a conquis ce duo. Tout cela, en demeurant respectueux de l’environnement : en effet, ils n’utilisent que du papier PEFC ou recyclé.

« The Answers Issue », pour Time Magazine, Zim & Zou, 2014

Les débuts de cette tendance trouvent leur racines il y a déjà quelques années, comme le prouve la collaboration de Zim & Zou pour le magazine Icon (n°104) en 2012 (disponible ici). En effet, le magazine a joué un rôle de précurseur en proposant aux paper-artists d’illustrer un article intitulé «The Future of Food» qui traitait de l’avenir des aliments avec les nouvelles technologies, de l’impression 3D et de l’encre alimentaire jouant un rôle prépondérant dans la gastronomie. Ils ont donc sculpté une imprimante en papier capable de produire des faux burgers. En 2014, le duo fait la couverture du Fricote n°14 (ainsi que de son supplément « Japan Eat Food ») sur le thème de la comfort food : un numéro pour lequel ils ont « cuisiné » un rôti en papier et une marmite à l’air délicieux.

« Comfort Food » et « Japan Eat Food » (milieu) pour le Fricote #14, Zim & Zou, 2014.

Les commandes s’enchaînent : d’abord le projet « Paper Rebirth » commissionné par l’ONG Ecofolio qui leur demande de collaborer avec l’agence June21 pour promouvoir le recyclage du papier. Le duo a réalisé un superbe phoenix à partir de papiers récoltés que les passants pouvaient déposer dans des fentes sur des tableaux publicitaires d’un abri de bus en face de l’Opéra Garnier. La symbolique est là : avec le papier on peut faire de tout, tout comme nous pouvons voir renaître un phoenix d’un tas de cendres.

« Paper Rebirth » dans un abri de bus, Zim & Zou/June21/Ecofolio, 2014.

Puis, c’est au tour d’Hermès de leur proposer d’abord la décoration d’une vitrine située dans le Passeig de Gràcia, à Barcelone, en 2014. À l’époque, cela a donné « The Fox’s Den » : l’histoire d’un renard qui a décidé de déménager dans une vitrine avec quelques objets personnels en papier orange et bleu posés comme d’innombrables reflets de sa personnalité en hommage au Fantastic Mr Fox de Wes Anderson. La collaboration est renouvelée en 2017, à Dubai.

 

« The Fox's Den » pour une vitrine Hermès, à Barcelone, Zim & Zou, 2014. Photo : Nacho Vaquero.,
« The Fox's Den » pour une vitrine Hermès, à Barcelone, Zim & Zou, 2014. Photo : Nacho Vaquero.,
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Le papier : une source d'inspiration à l'international

« Smaklöst », de Fideli Sundqvist.

Le papier traverse les mers, les territoires et les océans, la liste est longue et non-négligeable à l’international. A Stockholm, on trouve Fideli Sundqvist et ses natures mortes en papier. A Londres, on peut tomber sur Lobulo et ses influences pop en papier : un Dark Vador en Jésus Christ et un Mr T. exhibant toutes ses chaines en or.

« Darth Paper Project » / « Mr T. - Back to the 80's », de Lobulo.
Don Quixote Paper Project, Lobulo

En Espagne, Maria Laura Benavente explore quant à elle le paper-food, se spécialisant dans des formes végétales. Les projets éditoriaux fleurissent. Remarquable le calendrier 2014 fruité « New Flavours » des anglais de chez Nearly Normal Craft : une pomme de papier pour Janvier, une orange pour Février. Puis c’est au tour de la marque Lacoste de marquer les esprits avec son pop-up book pour son parfum « L!VE », comportant 24 pages de reliefs en papier, pensés par les créatifs de l’agence belge Ink Studio. Un pop-up book qui rappelle le pop-up « Calendar » poétique de la designer hongroise Eva Somogyi, un peu plus orientée littérature puisqu’elle a classé chaque saison et chaque mois selon un poème de Miklos Radnoti, jalonnés entre de très belles végétations taillées dans du papier et qui jaillissent littéralement des pages.

Le paper art s’invite aussi dans les collections de mode, comme dans celle de Bea Szenfeld de l’automne 2016 : les vêtements étaient entièrement fabriqués en papier. Jeremy Scott a aussi explosé tous les codes des podiums chez Moschino avec sa collection printemps-été 2017 basée sur l’idée du « 2D ».

« Calendar – Pop-up poem book », Eva Somogyi, 2014.

D’autres abordent les sculptures de papier dans des chemins moins empruntés comme l’alphabet « Paper + Typography » de la designer indienne Sabeena Karnik qui utilise le papier essentiellement pour former des lettres et des mots. Les rouleaux, le détail des courbes tendues, comme en équilibre, confère une minutie intéressante pour chaque caractère. Dans sa série Outbreak, l’artiste Rogan Brown pousse encore plus loin la précision que peut offrir ce support avec la technique du laser-cut qui lui permet de créer d’impressionnantes représentations de micro-organismes hyper-détaillées. Avec la même technique, l’artiste canadien Calvin Nicholls réalise des fresques d’oiseaux impressionnantes.

« Paper Typography », Sabeena Karnik, 2011.

De son côté, la designer anglaise Jule Waibel avait déjà confectionné de très belles robes en papier, doublées de chiffons, dont les mouvements de la matière se déploient et se rétractent selon les mouvements de la personne qui les porte. Sa dernière collection, Entfaltung, est un chef d’oeuvre d’artisanat donnant au paper art ses lettres de noblesse. Le papier offre donc bien des avantages tant sur le plan esthétique, financier et pratique. Avec peu, on fait beaucoup. Encore faut-il savoir le faire.

"Raised", Jule Waibel ,2014.

À l'Origine du Paper Art : l'Origami

Ce n’est pas un art nouveau que de manier du papier, le couper et le coller. C’est assurément dans l’origami que de ce qu’on appelle aujourd’hui « paper-art » y trouve ses origines. Etymologiquement et depuis le VI ème siècle, que ce soit en chinois ou en japonais, ce mot se découpe dans tous les cas en deux morphèmes : « plier / papier ».  Il est l’un des arts les plus anciens et c’est à partir du XIX ème siècle qu’il a fortement inspiré l’Europe. En face de l’origami, il y a le « kirigami» qui, lui, se concentre sur le découpage du papier plutôt que le pliage. On taillait et pliait des fleurs en origami pour les offrir en guise de marques d’amitié ou pour représenter des divinités. La somme de ces deux idéogrammes asiatiques se regroupe sous le nom de « chiyogami » ou « façonnage du papier ». Cet art a aussi servi de moyens d’éducation en 1978, avec Le Mouvement français des plieurs de papier fondé par Jean-Claude Correia. L’artiste Didier Boursin rendait ludique des cours de mathématiques avec des travaux manuels où les chiffres, les ciseaux et les feuilles de papier se confondaient.

 

 

"Twenty Interlocking Irregular Tetrahedra", Byriah

La tradition se perpétue évidemment, jusqu’à maintenant, sans fonction amicale ou religieuse mais esthétique et artistique. Des expositions consacrées à l’origami sont organisées comme par exemple l’événement Surface to Structure : Folded Forms, au Cooper Union à Manhattan, où on pouvait, cette année, admirer 88 origami-artistes : les formes géométriques de Byriah Loper qui s’amuse à entrecroiser des triangles de papier pour en faire des sculptures circulaires, ou encore les petits animaux pliés par l’artiste Ronald Koh, qu’ils nous envoient depuis Singapour.

Comme Zim & Zou et Maud Vantours, les italiens Happycentro reçoivent aussi des commandes de marques de luxe. Pour n’en citer qu’un : Louis Vuitton. A l’occasion de l’ouverture d’une boutique à Osaka, la maison française leur a demandé de concevoir une invitation en origami haut-de-gamme. Le résultat : un design pur et précis, fait de pliures et utilisant des techniques d’impression en débossage et en gauffrage pour forger un papier en creux et en relief. Si la marque de luxe a choisi un tel format pour envoyer des invitations, c’est pour en faire une approche plus noble et marquante. Au lieu de faire parvenir des mails, flyers ou newsletters, Louis Vuitton a voulu rendre hommage à toute une tradition japonaise d’origami : concevoir un objet durable afin de marquer un événement éphémère.

"Louis Vuitton Invitation Origami" pour ouverture d'un store à Osaka, Happycentre, 2012.

L’artiste anglaise Caroline Attan, quant à elle, fusionne son art du papier avec un art des mots : la poésie. A la manière des Calligrammes de Guillaume Apollinaire où les mots forment les dessins, elle confond les vers des poèmes de Pablo Neruda qu’elle écrit à la main et à l’encre dans des compositions circulaires de losanges et d’étoiles en papier. Les petits papiers pliés servent de chemin et de sillage à l’écriture. L’origami devient ici un concept, un concept qui se situe dans la jonction entre la littérature et la sculpture.

Story & Evolution of Paper Art
"Cantaro de vin", Caroline Attan, 2012

La collage : la mère

Penchons-nous maintenant sur l’art du collage qui existe depuis le XXème siècle. Si l’origami est le papa du paper-art contemporain, le collage peut en être la maman. Les cubistes Braque et Picasso ou le fauviste Matisse, les dadaïstes et leurs collègues surréalistes s’y sont essayés, comme par exemple Breton qui constituait ses poèmes en collant des mots. Contrairement à l’origami qui possède un certain relief, la particularité du collage réside dans le fait que ce médium plat reste plat tout en conservant la même technique : jouer avec le papier, couper, empiler, sculpter et coller.

 

Story & Evolution of Paper Art

Le collage semble aussi continuer d’inspirer une nouvelle génération d’artistes qui le revisitent sous la lumière d’une époque moderne, différente des influences et codes esthétiques d’autrefois. Ces artistes ne font pas dans le relief, ils veulent rester proches de la nature plate du papier, contrairement à ceux cités un peu plus haut. A la manière d’un styliste, Ernest Artillo s’inspire de la mode contemporaine et de l’élégance de certaines fleurs pour décomposer les mannequins des gravures de mode et leurs tenues. Il va utiliser de la peinture, ou les bras d’un modèle par-ci pour les ajouter sur le visage d’une modèle par-là. Son travail, plein de finesse, regroupe des compositions au clivage de l’étrangeté du surréalisme et de la grâce des formes.

Story & Evolution of Paper Art
L'univers et les collages d'Ernest Artillo.
Video Making of d'Ernest Artillo.

Un autre « colleur », Sammy Slabbinck, puise lui dans le passé avec des collages vintage qui reprennent des photos d’époque, historiques ou publicitaires, plus axées « american way of life ». Les inspirations sont diverses chez chacun, les possibilités sont infinies. L’artiste KARBORN va se nicher dans des compositions archi-abstraites où il découpe des bouches et cous de femmes, dépose des pétales de fleurs séchées, appose des fonds uniformes, raye des traînées de peintures, laisse apparaître le scotch et scanne le tout.

"Going Nowhere", "The Distortionists ", 2013 de Sammy Slabbinck.
"Theatre of Memory", "Love & Factory" de KABBORN.

Pendant que Laura Plageman imprime des photos de paysages, les froisse et extrait la beauté des pliures qui se dessine sur le papier après l’avoir déformé.

 

Story & Evolution of Paper Art
"Mac Way Falls", 2013, Laura Plageman.

Les méthodes sont multiples et décuplent au fil des années, grâce à des artistes qui ne cessent d’imaginer et de créer. Cette tendance du « paper art » d’aujourd’hui n’est peut-être que le résultat d’années et d’années d’origami en relief et de collages plats, avec une volonté d’aller de plus en plus loin, vers une dimension 3D spectaculaire.

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"Jacket", Jose Romussi.

A la croisée entre photo et couture : la manipulation du papier argentique

Au-delà du papier dit « traditionnel », peut-on parler de sous-genres du paper-art lorsque l’on crée quelque chose de nouveau à partir d’un papier, quel qu’il soit ? Par exemple, le papier glacé d’une photographie en couleurs ou de photos sépia surannées. Tous les supports sont bons pour aller plus loin dans la création. Le plus souvent, nous voyons la photographie comme une fin dans la création. Mais qu’en est-il si nous commençons par la considérer comme le début ? Est-ce qu’on la désignerait toujours comme une « simple » photographie ? Si on part du principe que le paper art réunit toute manipulation d’un papier, glacé ou non, alors la broderie sur photos peut être considérée comme une sorte de sous-genre au paper-art puisqu’il s’agit de sculpter et de broder sur du papier où les aiguilles et le fil remplacent les ciseaux et la colle.

Story & Evolution of Paper Art
Maurizio Anzeri for Dazed And Confused – photo : Richard Burbridge, June 2011.

« Photo-sculpture », c’est le terme que l’artiste italien Maurizio Anzeri utilise pour désigner la « broderie sur photo ». Selon lui, les arts comme la couture, la photo, le dessin et la sculpture sont indissociables. Le fait de coudre sur une photo transforme ce cliché en sculpture. Il dit même qu’il « dessine » avec des aiguilles. Il considère son travail comme une œuvre 3D : deux couches sont apportées par la couture et une dimension est déjà présente grâce au papier de la photo. Ces couches ajoutent une signification ou une histoire aux portraits, elles nourrissent et donnent du relief à un médium plat, par l’acte de pénétration d’une aiguille dans le papier en retravaillant le papier de la photo et l’identité du visage. Pour cela, il coud des masques colorés sur les figures des modèles, il les « cerne », les « coince » et les réinvente. Le papier de la photo est « comme un paysage qu’on façonne avec sa propre cartographie », dit-il. Les yeux et les dents semblent disparaître sous les tonnes de fils qui les recouvrent. Il s’imprègne des gens qui passent, des portraits qu’il collectionne depuis toujours et qui deviendront plus tard sa principale source d’inspiration. Et de temps en temps, il laisse même ses aiguilles derrière lui.

Story & Evolution of Paper Art
« Goldface / White Mask », Jessica Wohl, June 2011.

On retrouve également cette façon de manier le papier argentique chez Jessica Wohl ou encore Jose Romussi, deux artistes qui habillent les visages et les corps sur papier à coups de dés à coudre, de fil en aiguille. Jessica Wohl fait partie de ces photo-brodeurs qui ont commencé par accident, il y a quelques années. Jessica considère ce médium comme un dessin hyper-tactile où les lignes sont palpables sous les doigts. Elle s’inspire de maîtres tels que Freud et son « Inquiétante Etrangeté », Gregor Schneider et son projet « Die Familie Schneider », de concepts gothiques et psychologiques ainsi que de la culture des banlieues américaines qui l’aident à explorer la complexité de chaque portrait. Elle s’intéresse à la façon dont chacun de nous se présente : ce que l’on est vraiment et ce que l’on ose montrer, comment chacun maintient son image en place et comment cela peut consumer la distinction entre l’illusion et la réalité. Une photographie est le témoignage d’une réalité. Mais quand elle la recouvre de fils, c’est comme si elle ajoutait une couche illusoire à cette réalité. Quelle partie croire ? Qu’est-ce qui est le plus vrai ? Le masque ou le visage en-dessous ? Pour elle, la réalité et l’illusion se confondent, le masque est indissociable de l’identité, ils sont intrinsèquement connectés.

« Je considère la photo-broderie comme un dessin hyper-tactile où les lignes sont palpables sous les doigts. Mon ambition était de vouloir donner une identité à un portrait et avoir l'impression de ''réparer une œuvre'' »

Elle voulait pouvoir « réparer » une œuvre et c’est ainsi qu’elle a débuté en utilisant du blanc correcteur sur des photographies. Le problème avec cet outil était qu’il finissait par se craqueler et disparaître. Elle a donc pensé à la couture, aux fils et aux aiguilles pour remplacer le correcteur et intégrer une dimension durable. Son travail commence par le choix d’une photographie qu’elle trouve de manière aléatoire, un peu partout, qui n’est plus affiliée à une série, perdue et orpheline de son créateur. Dans un sens, elle cherche à redonner une identité et une mère à une photographie égarée. Elle opère un renforcement de la photo en apposant de la colle, de manière à ce que les fils soient bien fixés et que la photo ne se déchire pas. Puis, elle se met à coudre, à penser son dessin, à se poser des questions, si elle veut que les fils recouvrent toute la surface ou si elle veut qu’ils jaillissent autour du sujet.

« Marloes / New Serie », Jose Romussi.

Des sculptures en papier, nées de l’origami et du collage, à la broderie sur papier glacé, nous ne pouvons pas totalement affirmer que le monde artistique sera menacé par les arts numériques. Ces artistes n’ont certes pas inventé un nouveau mouvement mais ils ont innové une tradition, la réactualisant au gré des influences d’une époque moderne. Si les patterns de Maud Vantours, les broderies de Maurizio Anzeri et les collages d’Ernest Artillo sont aussi appréciés, c’est sûrement parce qu’il revêtent d’une imperfection qui fait justement toute la différence. On peut y entrevoir les défauts de construction, les détails, des bouts qui dépassent, des coins mal coupés. C’est là que réside tout l’intérêt et l’esthétique du paper art, de créer une œuvre physique en général. On serait moins émerveillés si elle était faite sur un logiciel PAO, sur Illustrator au millimètre près, où rien ne dépasse. L’artiste entretient un autre rapport à son travail où il fait vriller les cutters et caresse le papier Canson au lieu de pointer son curseur sur un «.png».

Alors, peut-être qu’on finira tous, dans quelques siècles, à lire des romans uniquement en format .epub ou à consulter des journaux compactés dans des applications. Peut-être que les tablettes remplaceront le papier et le crayon. Peut-être que les montres à aiguilles n’existeront plus et que les portables seront greffés à nos poignets. Peut-être que les peintres sur iPad se multiplieront et menaceront les peintres « sur toile ». Mais il semblerait que certains artistes, artisans du canson et du cutter, ne soient pas encore prêts à tourner la page.

 

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