La photographe Barbara Diener utilise la photographie pour comprendre sa relation avec la mort, la spiritualité et son héritage familial et culturel allemand. Sa nouvelle série d’images « The Rocket’s Red Glaze », prend comme point de départ la mise en récit des vies des deux premiers scientifiques lanceurs de fusée, et questionne en pendant ses sentiments complexes face à une mémoire familiale morcelée.

Comment votre amour pour la photographie s’est-il manifesté ?

Je me souviens avoir traversé un parc animalier dans l’Allemagne rurale où j’ai grandi et listé à mon ami ce que je prendrais en photo si j’avais un appareil avec moi. Je me souviens d’une image que ma mère a faite où je suis debout sur un rocher en maillot de bain et tenant un étui à cassette Rainbow Brite, que je prenais pour mon appareil photo. Pour mon huitième anniversaire, je me souviens que ma grand-mère m’a emmenée chez Toys R Us. Tout ce que je voulais, c’était un petit appareil photo rose vif. J’étais obsédée par la photographie.

À quoi ressemble votre sensibilité photographique ?

Je porte beaucoup d’attention à la lumière, naturelle et artificielle. J’aime cultiver une approche directe tout en cadrant mes images pour qu’elles soient ambiguës et fonctionnent à un niveau allégorique. J’inclus régulièrement des éléments comme le brouillard, le feu, la fumée et l’eau comme métaphores de quelque chose cachée sous la surface de ce que l’œil peut voir. 

« The Rocket’s Red Glare » est une série réalisée sur 3 ans. Comment l’avez-vous conçue au fil du temps ?

« The Rocket’s Red Glare » utilise les vies, mises en parallèle, du spécialiste allemand des fusées von Braun et du pionner scientifique des fusées Jack Parsons comme métaphore de la manière sélective de raconter l’histoire. Cette série défie le récit souvent double d’événements importants du XXe siècle, commençant dans l’Allemagne de l’époque nazie et culminant avec l’atterrissage sur la lune. Mon intérêt pour l’interprétation de cette chaîne d’événements, en particulier l’histoire de von Braun, vient de ma propre prise en compte de l’histoire et de mon héritage allemand complexe autour de la Seconde Guerre mondiale.

Je suis née et j’ai grandi en Allemagne d’une mère américaine et d’un père allemand. Ce dernier, décédé en 2007, était un jeune garçon pendant la Seconde Guerre mondiale. Il était difficile pour lui de parler de la guerre et je ne savais donc pas quelle était la place de ma famille dans cet horrible moment historique. Autant que je sache, mon grand-père et mon oncle n’ont pas rejoint le parti nazi mais ont tous deux combattu pour l’Allemagne. Mon oncle avait 18 ans lorsqu’il a été blessé et est décédé des suites de ses blessures.

Mes sentiments complexes au sujet de mon héritage sont incarnés dans la vie de von Braun. Nazi devenu scientifique de la NASA, une grande partie de son passé  de nazi a été passé sous silence pendant des décennies afin de célébrer sa contribution à la course spatiale américaine. D’un autre côté, Parsons a été exclu de l’histoire de la NASA pendant des décennies en raison de son comportement erratique et de ses liens avec le culte infâme d’Aleister Crowley.

Pour tisser un sens entre ces deux histoires compliquées, je photographie des lieux importants pour von Braun et Parsons. Je réalise des portraits faisant référence à des images existantes, et je m’approprie et modifie le matériel d’archives lié à la vie et à la carrière des scientifiques. 

Plutôt que de présenter une vue complète de cette histoire, je laisse des trous intentionnels dans le récit. Ces lacunes servent de questions, examinant comment les histoires passent à travers les générations et comment les faits sont déformés, embellis ou supprimés.

Quelle est la place de l’expérimentation photographique dans votre travail ?

Alors que ma pratique est enracinée dans la recherche et est adjacente au documentaire contemporain, mes images les plus réussies sont souvent de l’ordre de l’imprévu. J’ai appris très tôt à accepter l’heureux accident et à être ouverte à des opportunités inattendues. Je fais généralement des recherches sur l’histoire d’un lieu, mais une fois que j’y suis, je peux faire des photos complètement différentes de ce à quoi je m’attendais. Dans « The Rocket’s Red Glare« , l’expérimentation se situe dans le collage, le montage et les composites numériques. 

Quelles sont les inspirations qui influencent votre travail et notamment « The Rocket’s Red Glare » ?

Le romantisme allemand et des peintres comme David Caspar Friedrich et Johan Christian Dahl sont mes inspirations. Je reviens sans cesse à ce genre de paysages enveloppants. En tant que portraitiste, August Sander et sa lignée ont été une énorme influence. Pour “The Rocket’s Red Glare”, je me suis nourrie des artistes comme Joan Fontcuberta et Christian Patterson pour l’inspiration.