De ses scènes musicales préférées, la scène hardcore est le lieu dont est tombé en amour le photographe Pierre Lapin. Parti de Lorient en Bretagne il y a dix ans, il s’installe à Paris pour photographier les artistes qu’il admire. “À défaut d’être rockstar, je les photographie” lance-t-il. Quelques années plus tard, il photographie Lous & The Yakuza, Jeanne Added et Sébastien Tellier. Il nous parle des énergies qui animent les salles de concert, des rencontres qui le galvanisent et des remises en question qui jalonnent son sentiment d’imposture.

Quand a commencé votre attrait pour la photographie et comment l’avez-vous mis en pratique ? 

Mon père était assez équipé en matériel argentique. Petit, j’avais même un Fisher Price, avec une pellicule que je n’ai d’ailleurs toujours pas développée. En troisième, j’ai réalisé mon stage chez le photographe Yvan Zedda spécialisé dans la voile, la bouffe et les packshots. Puis j’ai étudié aux Beaux-Arts. Là-bas, je suis devenu familier avec la photographie en pratiquant plus spécifiquement le noir et le blanc et en développant mes images.

Alors j’ai quitté Lorient pour m’installer à Paris. Je voulais photographier l’énergie des soirées, des concerts et des gens qui les constituaient, notamment ceux des scènes hardcore et rock. À défaut d’être rockstar, je voulais les photographier.

Quelles spécificités incombent au travail de photographe de concert ? 

Le travail en live induit plusieurs contraintes. Elles sont matérielles : comme l’agencement de la salle, la présence de crash barrières, la position de la scène et l’éclairage. Les basses lumières inhérentes aux ambiances de concert compliquent la tâche. Elles induisent des temps de pause plus lents pour figer l’instant. Avec les nouveaux systèmes d’éclairage, comme la led, une sorte de ligne difficile à appréhender peut apparaître sur la photo.

Les difficultés sont aussi humaines. La présence du public implique de devoir naviguer entre les spectateurs pour certaines prises de vue. Les artistes peuvent demander d’être photographiés selon des moments précis de leur setlist. Les photos les plus compliquées à réaliser sont celles où les sujets t’intimident.

Toutes ces contraintes accumulées te mettent une pression et une excitation particulières. Le moment n’est pas illimité. Il faut cerner l’instant exact qui te plait, sachant qu’il dépend aussi énormément de l’artiste. 

À chaque concert, son ambiance. Comment parvenez-vous à retranscrire ces atmosphères musicales dans vos prises de vue ?

Je me laisse porter par la musique. Elle impose une certaine rythmique, un peu comme un grand jeu vidéo à la Guitar Hero. Sur certains temps il peut y avoir tel geste de fait, que ce soit à la batterie ou à la guitare. Dans un concert, chaque instrument a son climax. On réussit à les appréhender au fil des performances. Il suffit d’être attentif, curieux et de se laisser porter. 

Quels ont été les moments clés de votre travail de photographe ?

J’ai découvert Paris en sillonnant les soirées hardcore. Il y avait cette ambiance familiale très particulière. À chaque concert, se rencontraient les mêmes personnes. J’étais surexcité et ma pratique de la photographie s’en ressentait. Je travaillais au flash. L’artiste était important, mais le public lui aussi tenait une place clé dans l’espace. La culture de la musique hardcore est très codifiée, notamment au niveau de la foule et de ses mouvements, comme les mosh part (type de danse dite brutale) et les stage dive (action de plonger depuis la scène d’un concert dans la foule). Chaque concert est une sorte de combat. Je dois notamment ma première publication, dans Raise Magazine, à ces photographies de concert. Même si je porte un regard quelque peu acerbe sur mes images, les photos de l’acteur John Malkovich et de James Blake, ont elles-aussi été des moments importants de mon travail.

Peu importe les lumières, les artistes et leurs énergies, vos photos suivent un fil rouge. Quelles sont les inspirations fondatrices de votre sensibilité photographique ?

Les anonymes. J’ai une culture très Internet. Aux heures de gloire de tumblr, je faisais des grands moodboard. Plus que des profils précis, ce sont surtout des envies de soirée, des concerts et des ambiances qui m’inspirent. Dans la photo de concert, certains photographes jouent avec la scénographie ou les lumières. Je travaille plutôt avec un zoom ou des longues focales, pour capturer des visages avant tout. Ce qui m’intéresse ce sont les petites histoires et accidents, ceux qui n’arrivent qu’une fois que l’instant est là.  

Quels airs revêt votre projet rêvé ?

À un moment de ma vie, la photographie est devenue majoritairement alimentaire. Aujourd’hui, mon aspiration est simplement de photographier des artistes que j’admire et de reprendre l’assurance et la confiance sur ma pratique du portrait.

Rendre hommage à la scène musicale hardcore, celle qui m’a mis le pied à l’étrier, est une véritable envie. J’aimerais créer un projet autour de ces concerts bien particuliers : ses mouvements de foule et ses mises en danger.