Né en France et basé au Canada, le photographe Guillaume Tomasi nous fait rentrer, avec Chrysalises, dans l’intimité de son univers artistique. Une série qui lui a été inspirée par son fils, qui avait alors deux ans. Il traite ici « d’histoires anonymes sur des évènements intimes, qui ont changé la vision du monde de plusieurs personnes ».

Comment et quand avez-vous commencé la photographie ?

J’ai toujours voulu faire quelque chose de mes mains. Je me suis essayé au dessin, à la musique et pendant mes études j’ai appris à créer des animations en codant. C’était un univers très créatif, très demandant et très stressant. J’aimais l’idée de pouvoir m’exprimer par le code, mais je devais répondre aux exigences de clients. Alors très vite, cela fut un frein à ma créativité. En quittant la France pour le Canada en 2010, j’ai découvert, quelques années plus tard, le travail de Julien Coquentin (“Tôt un dimanche matin”). Ses images m’ont marqué, car je connaissais les rues et les quartiers qu’il avait photographié. 

J’étais subjugué par la façon dont il cristallisait les ruelles et les habitants de Montréal. Cela m’a incité à ressortir mon appareil photo, outil que je vénérais uniquement à travers une vision technologique. Ce déclic me fit prendre conscience que la caméra pouvait devenir un médium qui porterait ma voix, ma vision du monde. J’ai donc laissé de côté la technique pour me concentrer sur l’aspect narratif de la photo. Après avoir fait quelques essais en « street photography”, j’ai voulu revoir ma pratique. En 2016, j’ai décidé de changer de carrière et de quitter mon travail pour reprendre mes études en faisant un bachelor en beaux-arts à l’université de Concordia de Montréal. Depuis ce temps-là, je travaille désormais à la pellicule, en moyen format.

Comment l’idée de cette série vous est-elle venue à l’esprit ?

Comme souvent, l’idée de départ est née d’une anecdote. Mon fils, 2 ans à l’époque, avait une grosse fièvre. Au milieu de la nuit, il était en pleine crise de pleurs lorsque je suis entré dans sa chambre pour le consoler. Il avait toujours les yeux fermés lorsqu’il m’a dit “Où sont passés les papillons?”. Il avait sombré dans un sommeil profond juste après. Ce fut les seuls mots qu’il prononça cette nuit-là. Ne trouvant plus le sommeil, mon esprit a extrapolé autour de cette phrase et autour de la figure du papillon.

Je me souvins également que mon grand-père me disait que si l’on voyait un papillon voler, cela voulait dire que la nature se portait bien. La question que mon fils m’avait posé me poussa à réfléchir à la façon dont l’on découvre, au cours de notre vie, que le monde n’est pas exactement comme on nous l’a enseigné. A quel moment allait-il découvrir que sa vision du monde serait certainement plus dure et plus brutale que celle que je lui avais inculqué? Après avoir trouvé mon moment décisif, je devins obsédé à connaître les évènements autour de moi. 

 

J’avais trouvé mon concept: collecter des anecdotes sur des évènements qui ont basculé la vision du monde de parfaits inconnus. Après avoir parcouru les réseaux sociaux, écris des petites annonces, j’ai décidé d’écrire soixante lettres que j’ai déposé aléatoirement sur l’île de Montréal en invitant les destinataires à me raconter anonymement leur moment décisif. Les textes retranscrits dans mon portfolio proviennent en partie de ces correspondances et seront publiés en intégralité dans un livre photo prévu pour la fin d’année. Enfin, le titre “Chrysalises” (chrysalides en anglais) fait référence à la figure du papillon et nourrit la métaphore d’évolution que subissent ces personnes suite à ces évènements. La chrysalide joue aussi sur la symbolique du cocon qui sera irrémédiablement brisé par les aléas de la vie.     

Quelle atmosphère avez-vous voulu transmettre ?

J’ai souhaité développer une atmosphère poétique et mystérieuse où le quotidien se voit bousculé et détourné de façon subtile. J’aime bien apporter l’opportunité au spectateur d’interpréter les images de plusieurs façons. Généralement, je produis des images très ouvertes, presque banales mais qui prennent une autre dimension lorsque la prochaine apparaît.

Et qu’en est-il des émotions ?

À travers ces histoires anonymes et ces images contemplatives, mon but est d’atteindre le public pour qu’il réfléchisse à sa propre expérience de vie.

Se remémorer quel a été le moment charnière qui a fait basculer son être dans une toute autre direction. J’ai gardé les portraits très abstraits où les visages ne sont pas forcément reconnaissable pour rester cohérent avec le caractère anonyme des textes. Les sujets photographiés ont pour la plupart rien à voir avec les histoires. Cela me permettait d’éviter que le public relie les histoires aux portraits.

 

Les lieux et sujets représentés sont-ils tous en lien avec une histoire particulière ?

Les images ont été produites en même temps que les anecdotes. Elles représentent mon interprétation du thème. De ce changement de conscience. Je ne voulais pas qu’elles soient reliées à une histoire, pour ne pas les enfermer dans un cadre d’interprétation. Par contre, je suis tout à fait conscient que de les juxtaposer aux textes leur apporte un tout autre contexte narratif. Cela ne sera pas le cas dans le livre photo que je vais publier prochainement.