Richard England a parsemé l’île de Malte d’architectures post-modernes aux couleurs pastel, rappelant des tableaux en deux dimensions. Élève de Gio Ponti, l’architecte s’inspire de l’identité antique de l’île, en fusionnant ses conceptions avec les ruines anciennes, comme celles du théâtre. Le meilleur exemple de ce style épuré et monumental est l’Université de Malte, labyrinthe de pièces, murs, couleurs et ambiances mythologiques, absolument méditerranéennes.

Meditation garden fountain

« Architecture », qu’est-ce que ce mot vous évoque ? 

L’architecture est une tradition ancienne et dans la modernité, elle doit se fonder sur ces bases historiques. Elle doit être comme une feuille nouvelle sur un vieil arbre. Aujourd’hui l’architecture est brandisée. La marque est plus importante que le message : c’est devenu comme une chemise Dolce & Gabbana. C’est une catastrophe pour cet art. Nous sommes dans l’époque de l’architecture de forme et pas d’essence. Personnellement, je pense que l’architecte est là pour créer une ambiance où l’homme se sent élevé, je suis pour une architecture de la poésie.

Pourriez-vous approfondir cette idée d’architecture « de la poésie » ? 

Vitruve disait « firmitas, utilitas, venustas ». Les deux premières notions renvoient à la matérialité du bâtiment, au travail pragmatique de l’architecte. La dernière, parle à l’âme. Il y a une citation d’Axel Munthe qui exprime bien ce concept : « the soul need more space than the body » (« l’âme a besoin de plus de place que le corps »). Les lieux, doivent pouvoir accueillir un esprit avant même d’être des structures de design. Sur la fin de sa vie, Jorge Luis Borges était devenu aveugle. Pour autant, il n’a pas arrêté de voyager. Il disait qu’il était plus important de sentir un lieu que de le voir. Dans une époque où on connaît le prix de tout et la valeur de rien, la poésie est plus que jamais nécessaire.

Overall View of Building

Vous avez été un élève de Gio Ponti. Pouvez-vous raconter cette époque ? 

Ponti n’est pas apprécié à sa juste valeur. Il était inclassable, c’est ce qui faisait qu’on avait du mal à définir qui il était. Un poète, un architecte, un éditeur de Domus…il m’a appris énormément de choses. À cette époque on travaillait vraiment avec ces stars, en contact avec eux dans leur atelier. Ils dessinaient, ils étaient en contact avec le monde. Le digital a un peu tué tout cela, mais je reste convaincu que la main est le pont entre l’esprit et le papier et qu’un architecte doit avant tout savoir dessiner. Si l’architecte n’est pas un artiste, je ne sais pas ce qu’il est mais il n’est pas vraiment architecte

Overall View of Building

Vous chérissez particulièrement l’architecture religieuse. Pourquoi ? 

Les lieux sacrés sont un défi pour l’architecte, peut-être le plus difficile d’ailleurs. Il s’agit d’extraire la métaphysique du pragmatique. D’aller de l’ordinaire à l’extraordinaire. Gaudi’ disait que le lieu sacré confronte l’architecte à quelque chose qu’il ne peut pas mesurer. Il s’agit de créer un espace de prière en comprenant quelle vision du divin l’homme a à une époque donnée. Si on prend l’exemple du gotique, il est indicatif de la vision toute-puissante, écrasante et absolue de Dieu au Moyen-Âge.  Pour ma part, je pense que le plus important dans un lieu religieux est l’entrée, l’espace de préparation où on transite d’un monde à l’autre.

Un exemple d’architecture religieuse que vous aimez particulièrement ? 

La chapelle mexicaine de Luis Barragan, parce que c’est un espace sans adjectifs, essentiel.

Vous appréciez le minimalisme ? 

Le minimalisme ne doit pas enlever aux lieux l’âme qui leur est propre. Il doit être une idée forte et simple. Je dis à mes élèves, à l’Université de Malte, de créer un projet avec peu d’éléments. Une bonne idée, c’est tout. En Méditerranée, nous ne sommes pas minimalistes, nous avons l’influence du baroque sicilien. Néanmoins, nous sommes simples. Peu d’ingrédients pour garantir le respect de la tradition et du lieu. L’architecte est le dessinateur du futur et le protecteur du passé.

Vous êtes un admirateur d’Italo Calvino. Avez-vous tenté d’illustrer ses livres ? 

Calvino est un génie. En effet, je suis en train de mener un projet fou : illustrer le livre « Les villes invisibles ». C’est l’histoire de Marco Polo qui décrit à Kublai Khan toutes les villes qu’il a traversé. C’est d’une poésie incroyable, justement, c’est l’architecture de la poésie.

 

University of Malta, Tal Qroqq

University of Malta, Tal Qroqq

University of Malta, Tal Qroqq

University of Malta, Tal Qroqq

University of Malta, Tal Qroqq

« Invisible Cities », Italo Calvino, illustration

« Invisible Cities », Italo Calvino, illustration